Pierre-Jacques Pernuit, Marie-Anita Gaube, “Nouvelles aires” (2015)

Il faut d’abord trouver un point xe. Le regardeur doit chercher une raison, une porte d’entrée aux univers de Marie-Anita Gaube. Mais l’exercice critique et l’expérience du regard requièrent une quête patiente. Ces images, par les chemins de traverse qu’elles nous font emprunter, ne sont pas complaisantes. Les toiles ne se donnent pas. Elles s’arpentent du regard. L’œil sonde, le confort est inquiété.


Que voit-on ? Quels sont les enjeux de cette peinture ailleurs quali ée
d’« hybride » ? Que voit-on réellement ? De l’aveu même de Marie-Anita Gaube, les titres ont valeur d’énigme.


L’image paraît opposée à un récit univoque. Faudrait-il, pour saisir le mystère, entreprendre de comparer les toiles, et établir, de différence en différence, l’ultime différence qui révélerait une mécanique de la peinture et ferait entrevoir à grands traits un style, un univers ? Là serait peut-être l’exact opposé de la posture à prendre face aux peintures de Marie-Anita Gaube. Elle aurait le malheur d’essentialiser sa peinture, d’en faire un mystère gé qui tient en un mot, alors même qu’elle est une peinture de l’intranquillité, du mouvement et du devenir. Le mystère est par essence non acté, en puissance.


Ce n’est jamais une scène qui est gurée, mais une foule, une multitude d’actions, de temporalités, de facettes d’un récit unique dont la logique s’enfuit. C’est, dit Marie-Anita Gaube « le théâtre de la toile » : un hors-temps qui voit apparaître et disparaître des figures.

Le tableau est parsemé de fantômes, d’apparitions/disparitions d’individus. Semble donc préexister à la toile une « grande image »*, une construction mentale complexe. Au commencement est donc l’idée.


Mais quelle est la nature de ce présupposé mental ? Les éléments d’un paysage, la dé nition de l’espace de la peinture à venir ?


L’Antichambre. Voilà le mot qui a résonné lors de ma rencontre avec Marie-Anita Gaube. Cette idée d’un espace non-déterminé, un lieu en mouvement, non gé, peuplé de personnages atopiques.

Car cette « grande image »* qui précède l’acte de peindre ne nous est révélée que par courts instants. Nous n’entrevoyons que certaines faces, des fragments qui révèlent l’impossibilité d’appréhender la totalité de l’espace mental.


La « grande image »* serait comme une sculpture en ronde-bosse qui ne se donne que par une de ses faces. Il y a une conscience de la planéité, des limites narratives de la peinture qui appelle à un ailleurs de la toile, à un mystère plus grand.


C’est bien une peinture du mouvement, une image qui anticipe ou précède une scène. Les personnages, de dos au regardeur, peut-être sur le point de se retourner, cheminent vers une identité af rmée, une nalité dont on ignore si elle est passée ou à venir. Seule certitude : l’état transitionnel, le chemin à accomplir.


Dans Border, c’est la migration, le déracinement qui est abordé.

Le paysage subit la même indé nition, il est un Paysage poreux, une Poursuite vers une spatialité plus sûre. Les dessins à la gouache et à la mine graphite sont, eux aussi, entre deux temporalités : une monochromie, un temps suspendu comme une anamnèse opposée à une temporalité plus actuelle, plus vraisemblable, un jaillissement coloré.


Les effets de la peinture sont au service de la création d’un lieu qui n’en serait pas un. La perspective, le travail des personnages en frise, comme un emprunt à la peinture classique, est détourné dans sa fonction narrative. Cette perspective qui ordonnait l’importance des personnages dans un tableau devient alors un outil de l’irréel, de la déconstruction du topos. Mais ce détournement n’est pas une dérision, une moquerie ; il s’agit plutôt d’une déconstruction à l’œuvre.


La peinture de Marie-Anita Gaube est une invitation à voir au delà de l’image, à ouvrir une aire à l’imagination, à dépasser le cadre de la surface plane de couleurs. « La couleur vient perturber. Elle est posée par contradiction. Elle crée un écart » dit-elle. Elle est écart vis-à-vis du vraisemblable, elle est un levier de bascule du regard, une porte d’entrée au tableau.


C’est une peinture du point d’accès, une peinture de l’antichambre dont la nalité est incertaine car mouvante. On regarde la peinture de Marie-Anita Gaube comme on garde en mémoire un plan d’une séquence de cinéma. C’est une invitation à entrer dans une aire du devenir, de l’anticipation.